Marguerite Lemaignan - Diététicienne gourmande

Envies de sucre : des causes pas seulement émotionnelles...

« Je ne peux pas me passer de mon carré de chocolat à la fin du repas », « quand je commence une tablette, je ne sais pas m’arrêter… », « si j’ai un coup de mou ou que je suis triste, je me remonte le moral avec un petit plaisir sucré… »…

Nous sommes nombreux (ses) à aimer le « sucré » et c’est naturel puisque c’est le 1er goût que l’on découvre après notre naissance avec l’alimentation lactée. Un goût associé rapidement au réconfort physique dû au lactose qui confère cette saveur sucrée au lait. Ce lait viendra calmer notre faim, mais aussi nous apaiser puisqu’il est généralement donné avec amour.

Avant même la naissance, des études réalisées in utero chez l’animal montrent une augmentation de la fréquence de succion du fœtus lors de l’injection, chez la brebis, d’une substance sucrée dans la poche amniotique.

En grandissant on découvrira d’autres saveurs, mais le sucré conservera pour certains (pour beaucoup !) une place à part. D’ailleurs la capacité à détecter et à percevoir le goût sucré reste remarquablement stable au cours de la vie contrairement à celle des autres saveurs (salé, acide, amer) qui s’altère progressivement avec l’âge.

Des raisons physiologiques ?

Le glucose est le seul nutriment à pouvoir être utilisé directement par nos cellules, l’effet est rapide et intense, avec une libération de sérotonine, hormone du plaisir par le cerveau. Notre cerveau tout comme le sang est d’ailleurs gluco-dépendant : cela signifie qu’il utilise uniquement le glucose - fourni par l’alimentation ou via la transformation d’autres nutriments par le foie - pour fonctionner.

Les molécules de glucose n’ont pas besoin d’être décomposées et sont rapidement absorbées dans l’intestin d’où elles passent directement dans le sang pour être utilisées par les différentes cellules du corps : sans intermédiaire dans le cerveau et à l’aide de l’insuline produite par le pancréas pour les cellules musculaires par exemple.

Ce sont le glucose et les autres sucres « simples » ou « rapides », qui causent les fameux « pics d’insuline ». De fait on parle aujourd’hui d’aliments à index glycémique élevé (car augmentant rapidement et fortement notre glycémie= taux de glucose sanguin) plutôt que de sucre simple ou rapide. La notion d’index glycémique est complexe, et d’autres paramètres interviennent (cf mon article à venir « Alimentation à IG bas : Quels bénéfices ? »)

A certains moments le plaisir ressenti associé à la consommation de sucre semblent se transformer en dépendance pourtant pour parler d’addiction certains critères doivent être réunis : symptômes de manque physique etc… qui n’existent pas avec l’arrêt de la consommation de sucre.

Quand le simple attrait se transforme en pulsion incontrôlable, on peut pourtant rechercher des causes physiologiques et psychologiques.

Pourquoi sommes- nous plus sujets à ces envies sucrées irrépressibles à certains moments ?

Excluons d’emblée « l’hypoglycémie réelle » qui est un besoin vital de sucre car un taux de glucose sanguin trop bas nous met en danger et s’accompagne de manifestations physiques très particulières : pâleurs, tremblements, sueurs froides…

Les autres envies de sucre peuvent avoir de multiples origines.

-Un déficit nutritionnel : les calories ingérées sur la journée ou une période plus longue n’ont pas été suffisantes. Ce déficit nutritionnel- peut être dû à une restriction volontaire ou involontaire. Le manque demande alors à être comblé et peut provoquer des envies sucrées.

-Dans le cas d’un état de restriction cognitive sur l’alimentation, c’est-à-dire une restriction que l’on s’impose volontairement, par exemple en ne s’autorisant pas certains aliments de peur de grossir, ces envies irrépressibles peuvent même apparaître sans que le déficit calorique n’existe.

Des études réalisées chez l’animal montrent que des animaux soumis à un régime hypocalorique sur 2 semaines ont ensuite des compulsions alimentaires pour des aliments qui pouvaient ne présenter aucun intérêt avant le régime. Ces compulsions poussent l’animal auparavant parfaitement régulé au niveau de son alimentation à consommer un excédent de calories, cet effet est proportionnel à la durée / intensité de la restriction. Les mêmes études ont été réalisées sur l’homme avec des effets similaires. Alors imaginez l’impact d’une restriction alimentaire chez un homme qui a déjà un goût prononcé pour le sucre…

-L’état émotionnel peut aussi être en cause : Le stress par exemple provoque une production d’adrénaline, celle-ci sert à mobiliser nos réserves énergétiques pour nous permettre de répondre au danger ou du moins à ce que notre cerveau analyse comme un danger. Cette production d’adrénaline agit sur la libération d’insuline qui a une activité hypoglycémiante (diminue la glycémie). A la disparition du stress, le corps cherche à rétablir l’équilibre et demande des apports sucrés pour restaurer ses réserves de sucre. Un examen médical stressant, un entretien d’embauche, sont autant de situations après lesquelles on peut ressentir une envie sucrée une fois la pression retombée, et l’origine de cette envie est donc à la fois physiologique et psychologique.

-Une carence en minéraux :

La carence en fer qui concerne chez 1/4 des femmes de 40 ans non ménopausées perturbe toutes les réactions de synthèse des neuromédiateurs dont la sérotonine. Cette hormone de la sérénité et du bien-être a un effet anorexigène (coupe faim) et contrôle notre attirance pour le sucre. La prise d’aliments sucrés favorise indirectement la synthèse de sérotonine en facilitant l’entrée dans le cerveau du tryptophane, un acide aminé précurseur de la sérotonine.

-La fatigue perturbe directement les hormones de la satiété et peut nous pousser vers des aliments plus sucrés car plus énergétiques.

-Enfin on peut avoir pris l’habitude de répondre à des émotions désagréables ou ressenties comme telles en utilisant le sucre comme un « calmant » ou du moins un modérateur.

…et qu’en est-il des fameuses envies sucrées à la sortie du travail? ou de retour à la maison quand il faut commencer la seconde journée et s’occuper des enfants? Le soulagement est immédiat mais peu durable surtout que la faim ressentie en fin de journée et une potentielle culpabilité viennent se mêler à cette envie émotionnelle. Le réconfort recherché n’est pas atteint et on mange alors sans fin car sans satisfaction possible, les causes de l’envie n’ayant pas été résolues.

Focus sur des situations spécifiques :

Dans certains cas comme le syndrome prémenstruel ou le sevrage tabagique ou un état de stress nos besoins en sérotonine peuvent être augmentés.

La chute de la sérotonine pourrait être à l’origine de l’envie de sucre survenant avant les règles.

Près de 80% des femmes ressentent avant les règles des troubles physiques tels que rétention d’eau, mastodynies, céphalées, ballonnement et des troubles psychiques tels que envie de sucreries, irritabilité, humeur dépressive. Chez 30% des femmes, ces symptômes sont plus sévères et constituent le syndrome prémenstruel (SPM).

La synthèse de sérotonine est abaissée lors de la chute prémenstruelle des œstrogènes. Or l’entrée du tryptophane _ acide aminé précurseur de la sérotonine_ dans le cerveau est facilitée par l’insuline, et par conséquent la synthèse de sérotonine aussi.

Pour résumer, la consommation d’aliments sucrés pendant les règles en élevant la glycémie entraine une production d’insuline qui augmente la synthèse de sérotonine.

Même si le besoin « d’occuper » sa bouche peut expliquer les grignotages lors du sevrage tabagique, plusieurs mécanismes physiologiques sont directement responsables des envies sucrées.

La nicotine diminue la sécrétion d'insuline : à l'arrêt du tabac, le corps produit plus d'insuline avec des risques de dérèglements de la glycémie voire d'hypoglycémies, et un appétit augmenté notamment pour les produits sucrés.

Par ailleurs la nicotine augmente la production de sérotonine, et le sevrage peut entraîner un déficit de ce neuro-médiateur.

En conclusion, avant d’attribuer une origine purement émotionnelle à nos envies sucrées, commençons par nous interroger sur nos potentiels déficits nutritionnels et corrigeons les. Dans la majorité des cas, cela suffira pour diminuer les envies sucrées et nous pourrons alors nous satisfaire de quelques carrés de chocolat et non manger la tablette entière sans réel plaisir.

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00578671/document

Patrick Pasquet, Claude Marcel Hladik, Laurent Tarnaud., Évolution des perceptions gustatives

https://www.revmed.ch/RMS/2010/RMS-258/Syndrome-premenstruel-envie-de-sucre-et-serotonine

Rémy C. Martin-Du-Pan, Syndrome prémenstruel, envie de sucre et sérotonine Rémy C. Martin-Du-Pan


Feb. 15, 2021

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